Vanessa DESVAGES-VASSELIN

Université de Rouen Normandie, Rue Lavoisier 76821 Mont Saint Aignan Cedex

Mots-clés

  • Pédagogie, Didactique, savoir, apprentissage
  • Jeu, littérature jeunesse, objets culturels
  • Aménagement des espaces
  • Identité professionnelle des éducateurs et des enseignants
  • Pédagogies alternatives scolaires et hors scolaires
  • Analyse pédagogique et didactique des pratiques d’éducation et d’enseignement.

Mes recherches correspondent en partie à mon travail doctoral, aux contributions qui l’ont suivi mais également aux projets de recherches collectivement portés avec des collègues de sciences de l’éducation et de la formation, en premier lieu ceux du CIRNEF. À travers le travail de thèse, je cherchais à comprendre les enjeux professionnels du partage d’un territoire éducatif en questionnant le poids du sujet, son rapport au savoir, au jeu, à l’Autre dans sa pratique effective. Mes objets de recherche ont évolué interrogeant toujours le jeu mais également l’aménagement des espaces ou encore la littérature jeunesse, les pratiques se distinguant de la forme scolaire traditionnelle visant à prendre en compte les besoins des enfants/élèves pour questionner les gestes professionnels sous-jacents, l’identité en construction et les enjeux de territoires partagés. Parti des enseignants, puis des animateurs périscolaires et du ludothécaire, mon regard porte aujourd’hui autant sur les professionnels enseignants que les professionnels de l’éducation scolaire et non scolaire (AED, animateurs socioprofessionnels…). Mes recherches interrogent diverses dimensions qui se font écho : la pédagogie et la didactique comme outils d’analyse pour interroger des situations d’apprentissages formels ou non informels ou encore les pratiques pédagogiques différenciés ou adaptés en lien avec la construction identitaire professionnelle ou encore la question de la culture en éducation.

De fait, ces réflexions suivent un même fil rouge qui est la question de l’émancipation. Celle-ci prend sens dans mes travaux à deux échelles. L’enjeu premier est de permettre aux enfants, jeunes, élèves de disposer d’un pouvoir d’agir et de se construire en tant que citoyen éclairé. Que ce soit à travers le questionnement sur la dévolution, les pédagogies différentes ou le conseil municipal d’enfant, ces réflexions visent à comprendre comment il est possible de rendre les sujets acteurs (acteurs de leurs apprentissages, acteurs de la « cité » etc.) J’évoquais une double dimension considérant que cette émancipation ne peut se penser sans questionner celle des professionnels à l’œuvre pour la favoriser. L’axe privilégié dans mes recherches est celui de l’émancipation de la forme scolaire traditionnelle par les professionnels de l’éducation et de l’enseignement, considérant la forme scolaire traditionnelle telle que conceptualisée par Vincent (1994) non différenciante et peu émancipatrice.

 

Dès lors, mes recherches s’articulent autour de trois axes :

  • Prendre en compte les besoins pour éduquer/enseigner : la question des apprentissages

Initialement ancrés dans le champ de la didactique, mes travaux aujourd’hui viennent interroger la question des pédagogies différentes pour répondre aux besoins de tous, outillés des concepts en didactique.

Mobiliser des concepts inhérents au champ de la didactique comme la dévolution (Brousseau, 1998/2003) ; Buznic-Bourgeacq et Al, 2021) permet d’interroger des pratiques pédagogiques différentes (Reuter, 2021) telles que l’usage du jeu en classe ou l’aménagement flexible de la salle de classe favorisant la différenciation (Kahn, 2010, Connac, 2016) voire une accessibilité universelle (André, 2021). Puisque l’élève est à l’école pour apprendre (Astolfi, 1995), il est nécessaire de s’interroger sur ce qu’il y apprend et comment il apprend dans ces pratiques qui tentent de rompre avec la forme scolaire traditionnelle (Vincent, 1994). Pour autant, il apparait également essentiel de saisir comment se construit dès lors, un climat scolaire favorable où la parole de l’élève serait réellement prise en compte et les besoins de chacun entendus. La recherche menée dans le cadre du PIA3 dans une ULIS Collège montre par exemple comment au-delà d’un aménagement flexible, c’est bien un enseignement flexible favorisant relation éducative sereine et dynamique participative qui permet à ces adolescents en situation de vulnérabilité de développer un pouvoir d’agir.

Par ailleurs, considérant que l’apprentissage ne se réduit pas à la salle de classe, l’articulation didactique/pédagogique apparait fonctionnelle pour questionner les apprentissages non formels dans des tiers lieux comme la salle de permanence ou sur les temps du périscolaire. La recherche Pia4 Collège+ vise à ce titre à interroger les espaces autres que la salle de classe dans leur fonction et leur mise en œuvre au service des apprentissages de tous les élèves.

 

  • L’identité professionnelle en pédagogie alternative

Un des enjeux majeurs des pédagogies alternatives telle que développées par le mouvement de l’Education nouvelle est de favoriser l’émancipation de l’élève/l’enfant. Dès lors, l’émancipation de l’enfant passe par l’émancipation de l’éducateur[1] de la forme scolaire traditionnelle (Vincent,1994).

Or, choisir de mettre en œuvre des pratiques issues de ces pédagogies différentes (Reuter, 2021) est éminemment lié à l’identité professionnelle construite par l’éducateur et nécessite la mise en œuvre de savoirs professionnels opérants. Nous nous interrogeons de fait sur la construction de l’identité professionnelle de l’éducateur « alternatif », les savoirs professionnels à l’œuvre et les effets sur leurs pratiques éducatives.

Ainsi, les travaux menés dans le cadre du PIA4 Collège+ visent à interroger le poids de la forme scolaire dans les pratiques éducatives et plus particulièrement des AED. Ils viennent interroger la mise en œuvre d’aménagements différents visant à répondre aux besoins des adolescents sur le temps de classe et sur le temps de vie scolaire et leurs effets en termes de construction identitaire professionnelles. En effet, on constate des écarts dans les pratiques mises en œuvre et l’engagement dans un aménagement différent selon que l’AED se définit comme surveillant ou assistant d’éducation.

De même, l’analyse des pratiques éducatives de l’animateur dans le cadre des conseils municipaux d’enfants et de l’éducation à la citoyenneté et leurs liens avec la forme scolaire traditionnelle amène à interroger là encore l’identité professionnelle construite, les enjeux de formation à la parole de l’enfant. Elle vient également questionner les liens et les interactions entre les volontés et les actions d’un territoire et les pratiques scolaires. Si le non scolaire et le scolaire partagent des ambitions légitimes d’éducation à la citoyenneté, dans quelle cohérence se construisent ces actions ?

Il y a fort à parier que les pratiques des uns peuvent alimenter les pratiques des autres et se compléter pour répondre à l’ensemble des besoins de l’enfant. Il est nécessaire, dans une réflexion du temps de l’enfant, de dépasser le concept de « l’enfant-apprenant » pour prendre en compte « l’enfant-enfant» (N. Roucous, 2006)). C’est pourquoi, il apparait essentiel de questionner la construction identitaire des professionnels de l’éducation au sens large. En effet, questionner des pratiques éducatives différentes entend interroger la reconnaissance de ces pratiques. Si le jeu apparait comme une pratique légitime chez les animateurs, il participe à l’image peu sérieuse que ceux-ci pensent renvoyer. Aussi, le risque est de voir l’expression de leur professionnalité passer par une certaine formalisation de leur pratique afin de « faire sérieux » (Lescouarch, 2016) quitte à refaire l’école hors de l’école. Il est intéressant de voir, à l’image des recherches évoquées précédemment, comment les animateurs ou les assistants d’éducation par exemple construisent et affirment leur identité professionnelle.

 

  • La culture comme objet d’éducation émancipatrice

Mes premières recherches m’ont amenée à questionner un objet culturel en particulier, le jeu. De son usage comme outil pédagogique à sa prise en compte comme objet d’éducation (Brougère, 2005), le jeu amène à interroger d’une manière plus large le rapport entre culture et éducation. Identifier ce qu’est un jeu, dans toutes ses nuances, à ce qui fait jeu pour le joueur, amène à interroger ce qui se construit en termes d’apprentissage pour le joueur de manière informelle. En effet, le libre arbitre, la liberté peuvent-ils résulter d’une éducation formelle ? Comme le démontre Duflo (1997), c'est là tout l'intérêt du jeu car on ne peut apprendre le libre arbitre qu'en l'exerçant. Or, pour l'exercer d'une manière sans risque, pour s'entrainer au libre arbitre, pour apprendre sa liberté, qu’y a-t-il de mieux qu'une pratique imaginaire, dans un autre monde, dans un autre temps ? Autrement dit, jouer n’est-il pas l’occasion évidente d’apprendre à exercer son libre arbitre ? D’une manière plus large, le jeu m’a amenée à m’intéresser à la question de la culture et à chercher à comprendre les enjeux de l’éducation à et par la culture. Si la place centrale de la transmission culturelle doit ainsi être réaffirmée considérant la culture comme « essentielle à l’édification d’un individu libre et responsable, capable de déployer son intelligence et sa sensibilité, fondamentale pour l’équilibre et le développement de notre société » (De Metz, 2017, p.10), nous ne pouvons cependant pas réduire l’acte de transmission dans le champ artistique et culturelle à un enseignement, c’est-à-dire à la simple transmission d’un savoir. Elle vise la sensibilité de l’enfant, son rôle d’acteur dans la découverte de la pluralité des imaginaires, des regards, afin de développer son propre regard sur le monde et son esprit critique, considérant que « la rencontre avec un objet culturel est ainsi simultanément une découverte de soi et un moyen de se relier aux autres… sinon dans les réponses qu’ils donnent, mais au moins dans les questions qu’ils se posent. » (Meirieu, 2019) et participant de fait à la construction de l’identité culturelle de l’individu et à son émancipation. Dès lors, la question de la culture nous invite à penser l’éducateur comme un « passeur culturel » (Zakhartchouk, 2014) et à interroger la nature des objets culturels mobilisés. À ce titre, nous nous intéressons actuellement au rapport à la lecture des jeunes et la place donnée à la littérature de jeunesse dans leur parcours de lecteur scolaire. Les échanges avec les étudiants dans le cadre du cours Culture et Education, nous ont amenées à constater le peu d’intérêt voire le dégoût de la lecture issue des programmes scolaire et nous invitent à approfondir cette réflexion pour dépasser ce simple constat. Un des éléments identifiés par les étudiants semble le peu de place donnée à une littérature qui leur parle, sans parler bien sûr de la bande dessinée ou du manga assez peu considérés dans le cadre scolaire. Si la littérature de jeunesse ne répond pas au code d’une littérature classique que la société considère nécessaire à tout à chacun, elle me semble cependant agir comme un objet culturel qui invite à se questionner, à développer sa sensibilité tout en faisant écho aux préoccupations des adolescents à travers des sujets auxquels la littérature classique seule ne saurait répondre.

Comme le jeu, la littérature de jeunesse n’apparait pas comme un objet culturel bien sérieux. Et pourtant, l’un comme l’autre ont, semble-t-il, en eux toutes les caractéristiques essentielles à son émancipation. Il convient donc de poursuivre à l’image de l’enquête débutée cette année la compréhension du rapport au jeu ou du rapport à la lecture que construisent les jeunes pour permettre à l’éducateur d’agir réellement comme un « passeur culturel » (Zakhartchouk, 2014).

[1] Nous envisageons l’éducateur au sens large considérant ainsi le rôle des adultes dans le cadre scolaire et non scolaire participant à l’éducation de l’enfant/du jeune. Cela inclut ainsi l’enseignant, l’animateur, le conseiller principal d’éducation ou encore l’assistant d’éducation.

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